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Pourquoi la psychoéducation ? (définition)

Pourquoi la psychoéducation ?

Lorsque vous avez été diagnostiqué comme une personne bipolaire, quelles informations avez-vous reçues de votre médecin ? Si vous avez changé de traitement, avez-vous été bien renseigné sur les raisons du changement, les effets secondaires, ou encore le type de traitement ? Avez-vous été impliqué dans la prise de décision ?

En bref, avez-vous l’impression d’être acteur de votre maladie, d’être considéré comme un partenaire par votre médecin ?

À titre personnel, je me suis rendue compte que 25 ans après son diagnostic, mon père ignorait qu’il existait différents types de bipolarité, et donc n’avait jamais été informé du type dont il souffrait. 

Ce témoignage est récurrent, et montre à quel point l’importance d’informer le patient n’est pas encore rentrée dans la culture psychiatrique. 

Pourtant, c’est un droit fondamental d’être informé en tant que patient sur sa maladie. En France, c’est une obligation légale depuis 2002, que le patient soit informé de son trouble, ses conséquences, les traitements et effets.

De plus, il a été démontré que chez les patients bénéficiant d’un traitement médicamenteux adapté, les taux de rechutes restent  très élevés. Un an après un épisode maniaque, le taux de rechute est d’environ 50% et de 70 à 85% à 5 ans sans traitement. Avec traitement pharmacologique, le taux de rechute à 1 an est d’environ 40% et d’environ 75% à 5 ans. Les différences entre les taux de rechute sont donc très faibles. De plus les patients ont des symptômes résiduels entre les épisodes thymiques dans …% des cas

Les facteurs de rechutes ?

Le facteur de rechute le mieux identifié par les psychiatres est le manque d’observance des traitements qui sont particulièrement élevés dans les populations atteintes de troubles bipolaires (....). En effet les effets secondaires importants des médicaments peuvent pousser les patients à arrêter leur traitement.

Mais même en cas de bonne observance des traitements les taux de rechutes restent très élevés.

Le stress environnemental (évènements de vie, entourage, disputes) peut rapidement générer des rechutes, ainsi que le dérèglement du rythme de vie (sommeil, voyages…) et la consommation d’excitants (alcool, café, drogue et autres joyeusetés).

Dans ce contexte, l’importance de l’éducation à la maladie, le changement des habitudes de vie apparaissent comme primordiaux. Il y avait clairement un manque sur ce plan là dans l’arsenal thérapeutique.

Une forme de thérapie complémentaire ?

C’est pour cette raison que les chercheurs se sont intéressés à la psychoéducation, traitement complémentaire prouvé efficaces pour la schizophrénie et la bipolarité.

Ce terme a été utilisé en 1980 par Anderson, Hogarty et Reiss, dans le domaine de la schizophrénie. La psychoéducation avait pour objet de mieux contrôler les situations de stress par les membres de la famille grâce à une meilleure communication et d’élaborer des stratégies visant à résoudre les problèmes de vie.

Pour des patients schizophrènes bénéficiant de thérapies individuelles et de traitement médicamenteux, ou d’un traitement médicamenteux seul, les taux de rechute sur une année s’élevaient à 30-40%. Alors que pour ceux participant à un programme de psychoéducation familial, ce taux était de 15% seulement. La psychoéducation a donc lentement été vue comme un complément intéressant aux médicaments. 

Depuis la fin des années 1990, l’utilisation de la psychoéducation a ensuite été étendue à d’autres troubles psychiques comme les troubles alimentaires, les troubles bipolaires, les attaques de panique et l’agoraphobie ou le stress post-traumatique

Qu’est-ce que la psychoéducation ?

La psychoéducation est une approche thérapeutique qui ne se concentre pas sur le diagnostic, les prescriptions, les traitements mais sur le fait de se fixer des objectifs, transmettre des compétences, la satisfaction des patients, et l’atteinte de leurs buts. [^6]

[^6]: Authier, 1977

Les interventions de psychoéducation sont diverses et peuvent être pratiquées par des professionnels de différentes disciplines ou par des pairs aidants. Elles peuvent être réalisées auprès de personnes souffrant de troubles psychiques ou de leurs proches dans des sessions individuelles ou en groupe. 

Les notions enseignées portent en général sur l’évolution naturelle des troubles, les traitements à disposition, la gestion des crises, la mise en place de limites pour les proches et la recherche de soutien social dans la communauté.

Caractéristiques communes

Elles ont en commun un socle d’éducation du patient à la maladie.

Depuis 1998, l’OMS a émis des recommandations sur l’éducation du patient en précisant la définition :

« L’éducation thérapeutique du patient est un processus continu, intégré aux soins et centré sur le patient. Elle comprend des activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage et d’accompagnement psychosocial qui concernent la maladie, le traitement prescrit et les établissements de soins, ainsi que les comportements de santé et de maladie du patient. Elle vise à aider le patient et ses proches à comprendre la maladie et le traitement, à coopérer avec les soignants, à vivre le plus sainement possible et à maintenir ou améliorer la qualité de sa vie. L’éducation devrait rendre le patient capable d’acquérir et de maintenir les ressources nécessaires pour gérer de façon optimale sa vie avec la maladie. »

L’éducation est le préalable nécessaire à tout programme de psychoéducation, car c’est la théorie sur laquelle se basent les apprentissages pratiques. Cette phase dure en moyenne X séances. 

Cela permet également d’améliorer l’estime des patients en les considérant comme capables de comprendre et d’agir pour leur bien-être. 

Les différents programmes

Il existe trois types de programmes de psychoéducation : 

  • Des programmes basés sur les thérapies comportementales et cognitives (TCC)
  • Des programmes basés sur la psychothérapie interpersonnelle et étude des rythmes sociaux (IPSRT)
  • Des thérapies centrées sur la famille (FFT)

Les thérapies comportementales et cognitives (TCC)

La thérapie cognitivo-comportementale consiste à identifier les pensées négatives et comportements inadaptés pour les remplacer par des pensées et réactions en adéquation avec la réalité.

Les deux grands modèles en thérapies comportementales et cognitives des troubles bipolaires sont le programme individuel et la thérapie de groupe.

Les programmes individuels

Ils ont été les premiers à regrouper des outils pédagogiques et thérapeutiques au sein d’un programme. Il comporte 20 séances individuelles, réparties en 4 phases :

  • phase éducative
  • phase d’apprentissage de techniques comportementales et cognitives : permet d’identifier les pensées du patient qui mettent en péril le traitement pharmacologique et les perturbations cognitives créées par la manie et la dépression
  • phase de gestion de problèmes psychosociaux : évaluation des conséquences psychosociales du trouble et gestion des difficultés
  • phase de consolidation  

Les thérapies de groupe 

Ce programme s’appuie sur le modèle stress-vulnérabilité. Il est suivi en groupes d’une dizaine de personnes et comporte une vingtaine de séances, réparties sur 3 mois. La thérapie comprend 3 phases : 

  • la phase éducative (6 séances) : présentation du modèle cognitif d’interactions entre pensées, émotions et comportements. Chaque patient construit sa liste de problèmes à résoudre
  • la phase cognitive (10 séances) : se centre sur l’auto-enregistrement quotidien de l’humeur pour identifier ses fluctuations. 
  • la phase de consolidation (4 séances) : permet de vérifier la compréhension et l’utilisation des techniques TCC apprises

L’efficacité de cette méthode a été prouvée via plusieurs études, dont “Relapse Prevention in Patients With Bipolar Disorder: Cognitive therapy Outcome after 2 Years” en 2005.

Les points communs entre ces deux programmes

Le recours aux TCC permet d’assurer : 

  • une amélioration de l’observance médicamenteuse
  • une détection précoce des symptômes
  • une meilleure gestion du stress
  • une prise en charge des comorbidités et des dépressions bipolaires. 

La psychothérapie interpersonnelle et étude des rythmes sociaux (IPSRT)

Parallèlement à l’application de la thérapie comportementale et cognitive et de la psychoéducation, une autre intervention majeure spécifique au trouble bipolaire émerge dans les années 90 : la thérapie interpersonnelle complétée quelques années plus tard par la thérapie des rythmes sociaux (Frank et al., 2000). 

Les bases de cette thérapie

Comme vu dans un des précédents articles sur l’hérédité de la bipolarité, la maladie entraîne une vulnérabilité génétique à transmission complexe dont les gènes ne sont pas encore clairement identifiés. Cependant, il est certain que les neuromédiateurs impliqués dans les troubles bipolaires (sérotonine, dopamine, noradrénaline, GABA) sont également impliqués dans les systèmes chronobiologiques (= horloges biologiques) et le système circadien.

Il est donc important pour toute personne bipolaire de comprendre ses rythmes et de les surveiller pour limiter les rechutes. 

Les objectifs de cette thérapie

  • délivrer une psychoéducation sur le trouble bipolaire et ses traitements
  • aménager les rythmes sociaux du patient
  • mettre en relation les évènements de vie, les rythmes quotidiens et les variations d’humeur
  • mesurer les rythmes quotidiens
  • réguler les rythmes quotidiens
  • équilibrer les types d’activités entre repos et stimulation
  • accepter la maladie ou “faire le deuil d’un avenir indemne”
  • résoudre les problèmes interpersonnels

Le déroulement de cette thérapie

Cette forme de thérapie s’intéresse aux difficultés interpersonnelles et aux rythmes chronobiologiques du patient, dans l’objectif de les réguler. Elle dure environ 24 sessions et doit idéalement commencer durant l’épisode aigu.

Elle comporte 3 phases :

  • la phase initiale (8 séances) : 
  • développement de la psychoéducation : en étudiant l’évolution du trouble et les réactions aux traitements, les symptômes, et les évènements de vie
  • évaluation des rythmes sociaux : heure du lever, de 1er contact, de démarrage de l’activité, du dîner, coucher,... 
  • évaluation des dysfonctionnements personnels : inventaire de toutes les relations dans lesquelles le patient se sent émotionnellement impliqué, classés par “proximité”
  • la phase intermédiaire (12 séances) : 
  • acceptation de la bipolarité : acceptation du diagnostic, apprentissage des limites liées à la maladie et des aspects positifs (sensibilité, créativité,...)
  • travail sur l’aménagement des rythmes : identification des rythmes instables, mise en place de pistes de changement, mise en garde sur les désynchronisateurs (long voyage, vacances,...)
  • résolution des problèmes interpersonnels : travail sur les conflits, deuils, changements de rôle ou l’isolement
  • la phase finale (4 séances) : évaluation de l’efficacité de la thérapie, autonomisation et développement de stratégies de prévention

Programme d’objectifs personnels

Ce programme élaboré par M. Bauer et L. McBride en 1996 est une thérapie de groupe structurée conçue pour les patients bipolaires, qui se base sur les théories cognitives et comportementales et des techniques de résolution de problèmes.

Le programme est composé de deux phases :

  • 5 sessions hebdomadaires informatives sur la maladie bipolaire, ses causes et ses traitements, sur les différents aspects des dépressions et des états d’excitation maniaque. 
  • l’identification d’objectifs personnels. Le principe est de reconnaître les obstacles et de les dépasser à l’aide de techniques cognitives et interpersonnelles.

L’efficacité des programmes de psychoéducation

Sur 8 études, on a observé une réduction de 40% du taux de rechutes chez les patients bipolaires  suivant un programme de psychoéducation, par rapport à ceux suivant seulement un traitement pharmacologique.

Cependant, il n’y a pas de différence nette d’efficacité entre les différents programmes. 

C’est donc à la discrétion du psychiatre ou du patient que le type de programme pourra être choisi, en fonction notamment des problématiques du patient. Les thérapies familiales ne seront par exemple pas adaptées pour des patients vivants seuls.

Dans la plupart des études sur la psychoéducation, les patients sont recrutés alors qu’ils sont euthymique. Mais il y a encore beaucoup de questions qui se posent pour savoir à quels patients telles ou telles thérapies seront la plus adaptées, et surtout à quel moment il sera le plus efficace de le faire. Peut-on le faire en phase de dépression par exemple ? Sinon, depuis combien de temps en phase euthymique ? Est-ce aussi efficace pour la bipolarité de type 1 ou 2 ?

Reste maintenant la question de l’accès à ces programmes. Ce sera le sujet d’un prochain article.

http://www.psychosocial.com/IJPR_11/Theories_Mech_Benefits_PS_Ed_Griffiths.html 

Psychoéducation : définition, historique, intérêt et limites (PDF Download Available). Available from: https://www.researchgate.net/publication/270968582_Psychoeducation_definition_historique_interet_et_limites [accessed Dec 14 2017].