Le petit vélo dans ma tête tourne à plein régime ! Tandis que je pédale sur mon vélo, je repasse dans ma tête ma seconde consultation avec la psychiatre du CMP qui vient d’avoir lieu. Je suis atteinte d’une maladie chronique depuis 10 ans. Bien que je sois résiliente, cette pathologie intestinale m’épuise physiquement et moralement. À 37 ans, j’ai la force physique d’une personne âgée. Mon endurance s’est évanouie, remplacée par des vertiges, des malaises et des douleurs constantes. Mon corps est déjà vieux et il me le fait sentir. C’est extrêmement éprouvant au quotidien, surtout pour une personne seule et non véhiculée.
J’ai voulu discuter des conséquences de mes maux avec le personnel médical pour évoluer dans mon développement personnel. Pourtant, c’est un tout autre chemin que nous empruntons avec ce diagnostic qui résonne dans mon esprit comme une menace : bipolarité de type 2.
C’est la seconde fois que des médecins me le disent. La première fois, j’ai louvoyé avec moi-même, admettant après des recherches une tendance que je gérais assez bien. La santé mentale est extrêmement mal connotée dans nos sociétés où folie rime avec aliénation. Tant qu’il s’agit des autres, cette donnée ne change rien à l’amour qu’on leur porte. Quand il s’agit de soi, c’est une tout autre histoire…
Au-delà de mon regard sur moi qui évolue, j’éprouve un immense soulagement. Le petit vélo tourne sans cesse. Au fur et à mesure de mes apprentissages autour de la maladie, je me comprends mieux. La bipolarité explique pourquoi je ressens tout de façon plus intense, pourquoi j’ai toujours alterné entre des périodes de grande joie et de profonde tristesse. Je me suis toujours sentie "à part".
Je retrouve également d'autres marqueurs comme des troubles du comportement alimentaire, une pensée arborescente, une anxiété latente, l’impatience, une prédisposition à la colère, une météo sensibilité et un débit de parole rapide quand je suis contente. Je pédale à toute vitesse, portant un regard différent sur mes actes et mon histoire. La violence de mon enfance est grandement éclairée par le prisme bipolaire. Ma mère correspond elle aussi totalement au profil, le facteur héréditaire étant important.
Je regarde autrement les pensées suicidaires que j’ai ressenties à plusieurs reprises. Cependant, je ne suis jamais passée à l'acte. Je suis positive, créative et combative, toujours en quête de raisons de me « raccrocher ». Je sais depuis toujours que je ne suis pas « comme tout le monde », mais je sens que j’ai franchi un cap dernièrement. Je suis anxieuse, j’ai besoin de tout contrôler pour me sentir en sécurité, et mon amour propre est fragile.
Je parviens à me motiver d’ordinaire. La majorité du temps, je suis stable et optimiste, sachant me rebooster. Je dois produire de la dopamine grâce à ce que j'aime, reste à doser cet apport pour l'équilibrer maintenant que je suis consciente de ce mécanisme. Je sais me créer une envie pour "après" et j'avance ainsi. Ou peut-être est-ce une illusion, une stratégie de déni ?
Au fil de mes recherches, je prends conscience de ce que je fais déjà. Inspirée par mon intuition, j'ai mis en place des routines structurantes : bien dormir, manger sainement, pratiquer un peu d'activité physique, être active, sortir, prendre le soleil, créer, être en contact avec la nature, l'art et le "beau", écouter de la musique, lire, coller une série, méditer. Je ne bois plus d'alcool. Je continue mon tour de France mental, redécouvrant mes stratégies d’adaptation. C’est grâce à elles que je suis là.
Qu’est-ce qui a changé depuis ce premier diagnostic ? Mon contexte, toute ma vie en fait ! J’ai dû quitter mon logement sous la contrainte pour trouver refuge dans un studio mal isolé, où je vis dans la violence conjugale du voisinage. Je vis dans l’intrusion permanente depuis presque 3 ans, ce qui est devenu insupportable. Je ne suis pas en sécurité chez moi et pour m’apaiser, je me suis fabriqué une routine coercitive.
La peur, l’anxiété, la colère, l’autocompensation… Je souhaite revenir à un état intérieur plus paisible sans médication qui me fait peur. Ma routine, bien qu’elle me soutienne, m’éloigne aussi du monde. J’ai honte, je ne rentre pas dans les détails avec personne. J’essaye de retourner vers plus de souplesse et de douceur, mais le chemin est long et tortueux. J’ai aussi le droit de pousser mon vélo pour grimper cette pente raide !
J’ai énormément de chance d’être soutenue par mes ami·e·s, même s'ils vivent loin. Une partie de ma famille est à proximité, mais nous ne sommes pas proches au point de partager ce que je traverse.
Mes objectifs actuels sont de vivre de mon entreprise, retrouver un logement, reprendre des activités satisfaisantes et une vie sociale équilibrée. Cela me permettra de retrouver le calme intérieur et l’équilibre au quotidien. L'acceptation et l'adaptation consciente à la bipolarité sont indispensables. J’aimerais en apprendre davantage sur le fonctionnement neurologique bipolaire et les neurotransmetteurs. J’ai encore beaucoup de questions !
Je remonte en selle, délestée par ce partage. La route est longue, mais je me sens équipée pour ce voyage dont l’objectif est de fabriquer du positif à partir de la maladie. Je vous souhaite une très belle route à vous aussi !
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